Je... je crois que c'était ma première hallucination de ce genre. Je n'en suis pas vraiment sûr, parce que j'étais plutôt fatigué ; je rentrais chez moi après une soirée chez ma meilleure amie. Il devait être... une heure du matin, quelque chose comme ça, et je croyais être seul dans cette petite rue. Et tout à coup... j'ai entendu des bruits de pas derrière moi. J'étais plutôt petit et maigre, j'étais une cible de choix pour n'importe quel voyou de passage... Et la présence de Perle, un ridicule chaton, n'aurait découragé aucun bandit. Je commençais à m'inquiéter pour ma peau, alors j'ai accéléré - sans me retourner, pour ne pas me faire remarquer.
Mais je sentais toujours l'autre derrière moi. Malgré ma vitesse croissante, il se rapprochait inexorablement. J'entendis bientôt sa respiration, rapide et saccadée, si forte qu'elle en devenait effrayante. Comprenant que je n'arriverais jamais chez moi assez rapidement, je décidai de faire face et me retournai brusquement... Je vis alors, quelques mètres plus loin, un colosse qui devait atteindre les deux mètres, qui se dirigeait lentement vers moi. Je commençais à paniquer réellement, je me rappelle encore du couteau qu'il brandissait comme un sabre, un couteau qui aurait fait passer n'importe quel Opinel pour un vulgaire cure-dents.
Je me dis alors que passer les derniers moments de sa vie à regarder son assassin s'approcher était stupide. Je fis à nouveau volte-face, et courus aussi vite que je pus, sans réfléchir, prenant des rues au hasard sans me soucier d'autre chose que de ma survie. Une seule idée restait à mes yeux : courir, courir toujours plus vite et fuir toujours plus loin. Pendant une dizaine de minutes, je ne regardai pas derrière moi, jusqu'à être sûr qu'il ne me suivait plus. Alors, je m'arrêtai et m'adossai à un panneau indicateur ; le même colosse, qui paraissait n'avoir même pas couru, se tenait quelques mètres derrière moi, et commença à s'avancer avec la même expression menaçante et le même couteau entre les doigts.
Je ne sais plus vraiment ce qu'il s'est passé. Je me rappelle du rictus sadique de l'homme, de son horrible visage couvert de cicatrices. Il s'est avancé vers moi et puis... il a disparu sous mes yeux. Je suis sûr qu'il ne s'était pas enfui ou caché. Je n'ai pas rêvé. J'étais tout à fait conscient. Il était là, je sentais sa chaleur, j'entendais sa respiration, je voyais ses vêtements crasseux et déchirés, son couteau ensanglanté... et puis plus rien. Je me rappelle que j'avais mal à la tête. Pendant longtemps, j'ai essayé d'effacer ce souvenir de ma mémoire. Ce souvenir et tous les autres. Je n'avais pas conscience de ce qui venait de se produire, à l'époque...
Je me rappelle surtout de ce qui m'avait mis la puce à l'oreille, plus tard, en y repensant. Le colosse que j'avais aperçu n'avait pas d'animal.
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Ensuite, il y a eu d'autres histoires. D'autres hallucinations. D'autres frayeurs sans queue ni tête, qui me plongeaient de plus en plus dans l'isolement et dans la solitude. Personne n'a voulu me comprendre, m'aider, personne n'a jamais voulu aider les anormaux. Enfin, toute cette histoire, vous la connaissez, non ?
Je l'ai déjà racontée, trop souvent, à trop de personnes. J'aurais voulu être normal, ne pas avoir à cacher ma maladie comme d'aucuns cachent leurs boutons ou leurs taches de naissance. Mais la vie en a décidé autrement...
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Depuis deux ans, je commence à bien comprendre ma maladie. Je sais que je suis schizophrène, "une schizophrénie de type paranoïde" d'après les infirmiers que j'ai consultés. Je suis toujours sur les routes, accompagné de Perle, portant toujours les mêmes vêtements, fumant toujours des mégots trouvés au bord des routes. Je sais que l'avenir n'est pas rose, mais je sais que je trouverai, un jour, quelqu'un qui m'aidera à sortir de ce calvaire. Je me contrefiche de la politique, de cet environnement de mensonges et de crimes. Quiconque réussit à me comprendre devient un ami. Et si quelqu'un ne peut pas me comprendre, je me fiche de lui. Si quelqu'un peut m'aider à sortir de tout ça, peu m'importera qu'il soit du gouvernement ou de la mafia.
Et depuis que je comprends ma maladie, je sais aussi qu'elle a des points bénéfiques. Mes rêves prémonitoires, mes visions... et tant d'autres "phénomènes" qui ne me paraissent plus si terribles. Je peux aussi aider des gens, et rien ni personne ne m'en empêchera.